Comprendre l’intelligence adaptative : de quoi parle-t-on ?

Avant d’analyser son rôle en période de crise, définissons clairement ce qu’est l’intelligence adaptative. Elle ne se mesure pas par le QI ou la performance académique. Elle repose sur des aptitudes fondamentales comme la flexibilité cognitive, la créativité face aux contraintes nouvelles, la régulation émotionnelle et la capacité à apprendre de l’expérience. Contrairement aux formes d’intelligence plus statiques, comme la mémoire ou la logique, l’intelligence adaptative s’exprime dans le mouvement, dans la transformation perpétuelle de soi et de ses environnements.

Le neuropsychologue Robert J. Sternberg, connu pour sa théorie triarchique de l’intelligence, décrit l’intelligence adaptative comme notre faculté à s’accommoder à un contexte changeant, à le modifier ou à le sélectionner en fonction de nos objectifs. Lorsqu’une crise survient, cette intelligence passe de l’arrière-plan à l’avant-scène, prenant les commandes pour guider notre survie et notre adaptation.

La crise devient alors un miroir grossissant : elle révèle nos forces, mais aussi nos vulnérabilités, mettant en lumière nos schémas de pensée, nos biais, et la manière dont nous faisons preuve de résilience ou d’épuisement. Une meilleure compréhension de ces dynamiques peut nous aider à renforcer nos capacités d’ajustement face aux turbulences.

Les mécanismes de l’intelligence adaptative en jeu dans les crises

1. La flexibilité cognitive : s’ajuster en pensée

La flexibilité cognitive est au cœur de notre intelligence adaptative. En termes simples, il s’agit de notre aptitude à jongler entre différentes idées, perspectives ou stratégies. Dans une crise, cela peut signifier trouver des solutions nouvelles à des problèmes imprévus ou redéfinir des priorités en fonction des contraintes évolutives.

Une étude menée par le département de psychologie de l’Université de Berkeley a montré que les personnes capables de remettre en question leurs croyances rigides face à une crise – un choc économique, par exemple – présentent de meilleurs résultats en termes de gestion du stress et d’innovation dans leurs solutions.

  • Quelques exemples : lors de catastrophes naturelles, comme un tremblement de terre, les habitants improvisent parfois de nouveaux moyens de communication pour alerter les secours.
  • Au début de la pandémie de COVID-19, la flexibilité cognitive a permis à de nombreuses entreprises et écoles de basculer rapidement vers le numérique, transformant contraintes en opportunités.

2. La régulation émotionnelle : transformer le chaos intérieur

Face à une crise, les émotions négatives telles que la peur, l’angoisse ou l’incertitude surgissent avec force. Ici, l’intelligence adaptative se manifeste à travers la régulation émotionnelle, une capacité essentielle pour protéger notre santé mentale et physique.

Des recherches récentes en neurosciences (Université de Yale, 2020) révèlent que les personnes capables de nommer et d’identifier leurs émotions, un processus parfois appelé "étiquetage émotionnel", sont mieux à même de contrôler leurs réponses physiologiques au stress. Cette compétence aide à réduire les "réponses primaires", comme les réactions excessives ou paralysantes, et favorise une meilleure prise de décision.

Dans les familles, par exemple, un parent capable de réguler ses propres émotions devient une ancre émotionnelle pour les enfants, protégeant ainsi l’ensemble du système familial durant une période de crise.

3. La créativité face aux contraintes

La créativité adaptative est une autre facette majeure de notre intelligence. Elle émerge particulièrement dans les moments où des ressources limitées ou des contraintes extrêmes limitent les options possibles. Le cerveau, alors, se met en quête de solutions non conventionnelles.

  • Un exemple frappant est celui des hôpitaux débordés durant la crise sanitaire liée à COVID-19, où le personnel médical a improvisé des dispositifs de protection ou détourné certains équipements en respirateurs d'urgence.
  • D’autres crises sociales ont donné naissance à des innovations inédites, comme l’apparition de systèmes d’échange locaux pendant des périodes de crise économique aiguë, où les monnaies classiques n’étaient plus en circulation.

La clé ici est que les contraintes forcent le cerveau à faire preuve d’"efficacité créative" : apprendre à produire plus avec moins, et à transformer les obstacles en tremplins.

Facteurs qui influencent notre intelligence adaptative

Si cette intelligence est universelle, pourquoi certaines personnes ou communautés semblent-elles mieux s’adapter que d'autres ? Plusieurs facteurs entrent en jeu :

1. L’expérience passée et les apprentissages antérieurs

La mémoire de situations similaires joue un rôle clé. Les personnes ayant déjà traversé des crises développent souvent des schémas d’adaptation qu'elles peuvent mobiliser plus rapidement. C’est pourquoi on observe souvent des différences de résilience entre des populations expérimentées (par exemple, celles vivant dans des zones sujettes aux catastrophes naturelles) et celles qui n’ont jamais fait face à des défis majeurs.

2. La dimension sociale et collective

L’intelligence adaptative ne fonctionne pas uniquement à un niveau individuel. La capacité des groupes humains à coopérer, à partager les ressources et à innover collectivement amplifie considérablement notre possibilité d’adaptation. Par exemple, les initiatives communautaires, comme les chaînes de solidarité durant les crises, renforcent les liens et permettent une réponse plus forte face à l'adversité.

Difficile d’oublier les groupes de citoyens bénévoles organisant des livraisons de repas durant la pandémie ou les réseaux sociaux devenus des outils d’information en temps réel lors de catastrophes naturelles.

3. Les ressources contextuelles

L’environnement dans lequel une crise éclate modifie également la manière dont chacun peut mobiliser son intelligence adaptative. Des institutions solides, un accès à l’éducation, ou même la perception d’un soutien moral ou social influencent directement notre capacité à agir face à un défi inédit.

De la crise au renouveau : l’opportunité cachée

Les crises – qu’elles soient personnelles, économiques ou environnementales – confrontent l’individu et la société à une vérité essentielle : l’immobilisme n’est pas une option. Cette contrainte peut être tragique mais porte en elle un germe de transformation. Comme le dit le poète Rainer Maria Rilke, "la vie ne nous met jamais devant des murs pour bloquer notre passage, mais bien pour que nous nous retrouvions, debout, devant ce que nous n’avons pas encore compris".

L’intelligence adaptative, en étant intimement liée à la façon dont nous apprenons et grandissons face aux épreuves, nous rappelle que l’adversité ne nous définit pas. Seules nos réponses, nos ajustements et nos apprentissages nous révèlent pleinement.

Face à une crise, il est donc crucial de ne pas chercher uniquement à "revenir à la normale", mais à interroger la normalité elle-même. Que pouvons-nous bâtir, individuellement et collectivement, de plus robuste, plus créatif et plus durable ? Ces questions, au-delà de la théorie, doivent guider chacune de nos actions pour transformer une épreuve en lieu de renaissance.

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