Une intelligence fondamentalement différente de la conception classique

Pour comprendre l’intelligence adaptative, il est essentiel de la distinguer du cadre traditionnel de l’intelligence. Historiquement, cette dernière a été en grande partie mesurée à travers des tests de QI, conçus pour quantifier des capacités comme la logique, la résolution de problèmes et les connaissances linguistiques ou mathématiques. Si ces indicateurs restent utiles dans un certain nombre de situations, ils ne rendent pas justice à la complexité et à la diversité des formes d’intelligence nécessaires dans la vie réelle.

En revanche, l'intelligence adaptative désigne la capacité à apprendre, ajuster ses comportements et prendre des décisions en fonction des contraintes — internes ou externes — qui se manifestent dans des contextes dynamiques. Il ne s’agit pas seulement d’appliquer des connaissances antérieures : il s’agit de savoir improviser. Par exemple, face à un problème inédit, une personne dotée d’une intelligence adaptative pourra rapidement intégrer de nouvelles informations pour trouver une solution originale — là où l’intelligence classique reste souvent attachée à des schémas préexistants.

Cela illustre une distinction cruciale : l’intelligence adaptative ne valorise pas uniquement ce que nous savons, mais ce que nous sommes capables de faire lorsque le cadre change ou devient incertain. Dans notre époque marquée par des transformations constantes — du climat à l’intelligence artificielle — cette compétence prend une valeur stratégique.

Innée ou acquise : D’où vient notre intelligence adaptative ?

Une question fréquemment posée est celle de savoir si l’intelligence adaptative est un trait inné ou acquis. La réponse, comme souvent en neurosciences cognitives, est qu’elle repose sur une combinaison des deux. Certaines bases biologiques prédisposent les individus à des formes de flexibilité mentale, comme la plasticité cérébrale et les connexions neuronales favorisant l’apprentissage. Par exemple, les recherches montrent que l’hippocampe, une région du cerveau liée à la mémoire et à l’adaptation, joue un rôle clé dans les ajustements face à de nouvelles configurations sociales ou environnementales.

Cependant, cette capacité biologiquement ancrée ne s’exprime pleinement que lorsqu’elle est nourrie par l’expérience. Une enfance marquée par des défis adaptés, une exposition à des contextes variés ou des environnements culturels riches sont autant de facteurs qui façonnent l'intelligence adaptative. En d’autres termes, cette intelligence peut être cultivée tout au long de la vie grâce à l’apprentissage continu, la curiosité et la pratique de stratégies d’adaptation.

Des courants théoriques pour comprendre ce concept complexe

L’intelligence adaptative est étudiée au carrefour de plusieurs disciplines. Trois grands courants théoriques méritent particulièrement notre attention :

  • Le cadre évolutionniste : Développé dans des travaux comme ceux de Geary (2005), il postule que l’intelligence adaptative s’est forgée en réponse aux défis de survie et de reproduction dans des environnements changeants. Selon cette perspective, penser et agir de manière flexible a été un atout crucial pour nos ancêtres.
  • Les approches en psychologie sociale : Ces recherches mettent en lumière le rôle de l’intelligence adaptative dans les interactions humaines. Être capable de décoder les intentions d’autrui, de s’ajuster à des normes culturelles ou de naviguer dans des systèmes sociaux complexes relève également de cette forme d’intelligence.
  • Les neurosciences cognitives : Grâce aux avancées en imagerie cérébrale, on sait aujourd’hui que l’intelligence adaptative repose largement sur le cortex préfrontal, une région clé liée à la planification, la régulation émotionnelle et la résolution de problèmes.

Quoique distincts, ces courants théoriques convergent pour souligner que l’intelligence adaptative est une combinaison unique d’aptitudes cognitives, émotionnelles et sociales.

Des intelligences plurielles pour des enjeux multiples

Une des particularités fascinantes de l’intelligence adaptative réside dans sa pluralité. Lorsque l’on parle "d’intelligences au pluriel", on fait écho aux travaux de Howard Gardner et sa célèbre théorie des intelligences multiples. L’intelligence adaptative, bien que distincte, emprunte à cet univers conceptuel. Elle mobilise en effet divers types d’intelligences — spatiales, interpersonnelles, émotionnelles, etc. — pour produire des réponses ajustées à des environnements complexes.

Par exemple, un enseignant en classe, confronté à une situation de tension entre élèves, pourrait instinctivement combiner son intelligence émotionnelle (pour décoder les émotions des enfants) avec son intelligence interpersonnelle (pour réguler la dynamique du groupe). L’intelligence adaptative n’est donc pas une entité monolithique : c’est une orchestration subtile de plusieurs dimensions intelligentes.

Peut-on mesurer l’intelligence adaptative ?

Contrairement au QI, largement standardisé, l’évaluation scientifique de l’intelligence adaptative reste un défi. Cependant, des outils émergent. Par exemple, certaines batteries cognitives évaluent aujourd’hui la "flexibilité mentale" ou la capacité à résoudre des scénarios variés. Dans le domaine professionnel, les tests situationnels (où des individus doivent réagir à des cas pratiques complexes) permettent également d’approcher une forme d’intelligence adaptative.

Cependant, toute tentative de quantification doit tenir compte des limites intrinsèques de ces exercices. L’intelligence adaptative ne s’exprime pleinement que dans des contextes authentiques et dynamiques. Tester cette faculté dans un laboratoire ne pourra jamais précisément refléter les défis d’adaptation rencontrés dans le quotidien d’une personne.

Les crises comme terrain d’expression de l’intelligence adaptative

Que se passe-t-il lorsque tout s’écroule ou que les repères changent brutalement ? Les crises — qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, économiques ou sanitaires comme la pandémie de Covid-19 — mettent en lumière l’importance vitale de l’intelligence adaptative. La capacité à "rebondir" dans l’incertitude n’est pas seulement liée à des compétences techniques ou intellectuelles, mais à une agilité intérieure, une résilience équilibrée par une saine capacité d’analyse.

Durant la crise sanitaire du Covid-19, cette intelligence s’est illustrée dans de nombreux domaines : l’adaptation rapide des systèmes éducatifs pour organiser l’apprentissage à distance, l’invention collective de moyens de télétravail ou encore l’ajustement des professionnels de santé à des protocoles inconnus. Ces exemples montrent comment l’intelligence adaptative transcende les limites classiques des disciplines ou des métiers.

Universelle ou ancrée culturellement ?

Si les bases de l’intelligence adaptative sont universelles — tout cerveau humain possède de potentielles capacités d’ajustement —, son expression est néanmoins profondément influencée par les contextes culturels. Par exemple, dans une société collectiviste, l’intelligence adaptative pourrait se manifester par une capacité accrue à naviguer dans les relations et les normes sociales, tandis que dans une culture individualiste, elle sera souvent déployée dans des exercices d’autonomie et d’innovation personnelle.

Il est également important de souligner que des facteurs socio-économiques, politiques ou environnementaux jouent un rôle considérable. Une personne vivant dans un pays en développement, par exemple, pourra démontrer une remarquable capacité à improviser et à résoudre des contraintes matérielles avec peu de ressources, une forme d’adaptation souvent moins visible mais tout à fait essentielle.

Vers une intelligence au service de l’avenir

L’intelligence adaptative nous invite à repenser ce que signifie être "intelligent". Dans une époque mondialisée et imprévisible, cette forme d’intelligence n’est plus seulement une option — c’est une nécessité. Nous en avons besoin pour redéfinir nos systèmes éducatifs, pour forger une résilience sociale et individuelle face aux crises, mais aussi pour cultiver une curiosité humble et ouverte sur le monde. Car, en fin de compte, l’intelligence adaptative est ce qui nous permet, non seulement de survivre, mais aussi de nous épanouir dans toute la complexité de l’existence.

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