L’intelligence adaptative selon Sternberg : bien plus qu’une question de QI

Robert Sternberg, psychologue renommé, a profondément marqué la recherche sur l’intelligence avec sa théorie triarchique. L’un des piliers de cette théorie est justement l’intelligence adaptative. Pour lui, cette dernière ne se limite pas à des compétences académiques ou à des mesures de performance dans un cadre limité comme le QI. Elle reflète plutôt notre capacité à s’adapter aux environnements changeants, à modifier ces environnements, voire à sélectionner de nouveaux contextes pour prospérer.

Selon Sternberg, cette intelligence repose sur trois grandes composantes :

  • La composante analytique, qui permet de résoudre des problèmes grâce au raisonnement logique et à l’analyse critique.
  • La composante créative, indispensable pour élaborer des solutions nouvelles face à des situations inédites.
  • La composante pratique, qui correspond à notre capacité à appliquer concrètement nos connaissances dans le monde réel.

Un exemple souvent cité pour illustrer cette intelligence est celui des compétences de survie des peuples autochtones, qui démontrent non seulement une compréhension fine de leur environnement mais aussi une formidable inventivité face à des contraintes locales.

Que nous apprend la modularité de l’intelligence sur l’adaptation ?

La théorie de la modularité, popularisée entre autres par le cognitive scientist Jerry Fodor, offre un regard fascinant sur l’intelligence humaine. Elle postule que notre cerveau est composé de modules spécialisés, chacun dédié à une fonction particulière : le langage, la reconnaissance des visages ou encore la navigation spatiale. Cette organisation modulaire rend nos capacités cognitives extrêmement efficaces, car chaque module est finement adapté à une tâche précise.

Comment cela éclaire-t-il l’intelligence adaptative ? La modularité laisse entendre que notre capacité d’adaptation réside dans une coordination subtile entre ces modules. Par exemple, face à un défi complexe comme la gestion d’une crise environnementale, différents modules — liés à la perception du danger, aux compétences sociales ou encore au raisonnement abstrait — sont mobilisés simultanément pour élaborer des réponses adaptées.

La théorie de la complexité et l’intelligence adaptative

La notion de complexité remet en question l’idée d’un système linéaire et prévisible. Inspirée de champs comme la physique et les mathématiques, elle propose que l’intelligence adaptative naît dans des réseaux dynamiques d’interactions. Ces systèmes complexes, tels qu’un écosystème ou une organisation sociale, sont auto-organisés et sensibles aux petits changements. Ces caractéristiques trouvent une résonance directe avec les défis auxquels notre cerveau est confronté.

Les neurosciences montrent par exemple que notre intelligence repose sur des réseaux neuronaux interconnectés où l’échange d’informations se fait de manière non hiérarchique. Chaque cellule nerveuse joue un rôle dans un tout structuré, mais flexible, permettant des ajustements rapides selon les besoins. Si cette conception semble abstraite, elle explique concrètement pourquoi nous pouvons si bien nous adapter à des contextes incertains ou inédits.

Les sciences systémiques : une intelligence vue comme un écosystème

En prolongement de la théorie de la complexité, les sciences systémiques examinent le fonctionnement des ensembles organisés, qu’il s’agisse de systèmes biologiques, sociaux ou même technologiques. Ces approches nous aident à comprendre que l’intelligence adaptative ne peut exister qu’au sein d’un maillage de relations interdépendantes.

Par exemple, dans un groupe humain, la collaboration entre individus — chacun apportant ses compétences et perspectives uniques — illustre un fonctionnement "systémique". L’intelligence adaptative collective, celle des groupes ou des organisations, devient alors la somme de ces multiples interactions.

Un exemple concret des sciences systémiques

Prenons les projets d’innovation collaborative : les grands succès, comme l’invention de l’Internet ou bien les découvertes médicales liées au génome humain, sont souvent des produits de cette coopération systémique. Les experts de différents domaines unissent leurs forces pour répondre à des défis complexes, démontrant une intelligence collective et adaptive exceptionnelle.

Un modèle écologique de l’adaptation : le rôle de l'environnement

L’approche écologique, quant à elle, met l’accent sur les échanges constants entre l’individu et son environnement. Cette perspective nous rappelle que l’intelligence adaptative n’est jamais déconnectée du contexte dans lequel elle se manifeste. Que ce soit au niveau micro (un enfant et son école) ou macro (l’humanité face aux crises climatiques), c’est souvent dans l’interaction avec l’environnement que se construisent les solutions les plus ingénieuses.

Les travaux d’Urie Bronfenbrenner, avec son modèle écologique du développement humain, illustrent bien ce point. Selon lui, la capacité d’un individu à s’adapter et à réussir dépend de plusieurs systèmes en interaction : la famille, l’école, la société, mais aussi des forces globales comme les politiques publiques ou les conditions économiques.

Les neurosciences et l’intelligence adaptative

La recherche en neurosciences cognitives offre des perspectives captivantes pour comprendre les bases biologiques de l’intelligence adaptative. Loin d’être figés, nos réseaux neuronaux sont plastiques : ils ont la capacité de se remodeler en fonction des expériences, un phénomène connu sous le nom de plasticité cérébrale.

Cette plasticité explique par exemple pourquoi les individus ayant subi un accident ou une lésion cérébrale parviennent parfois à retrouver des fonctions cognitives altérées : d’autres zones du cerveau prennent le relais. Les neurosciences montrent également que l’apprentissage lui-même repose sur cette adaptabilité inhérente à notre système nerveux.

Par ailleurs, les avancées en imagerie cérébrale soulignent l’importance des structures comme le cortex préfrontal dans la gestion des défis adaptatifs. Cette partie du cerveau, impliquée dans la prise de décision, la planification et la régulation émotionnelle, est centrale dans des situations où nos réponses standardisées ne suffisent plus.

Théories de l’apprentissage et intelligence adaptative

Enfin, impossible de parler d’intelligence adaptative sans évoquer les théories de l’apprentissage. Que ce soit chez les enfants ou les adultes, apprendre implique presque toujours une forme d’adaptation. Les chercheurs, comme Lev Vygotski ou Albert Bandura, ont mis en lumière plusieurs mécanismes au cœur de ce processus.

Vygotski a notamment insisté sur l’idée que l’apprentissage est profondément social et contextuel. Les interactions avec autrui (parents, enseignants, pairs) permettent à l’individu d’élargir constamment sa "zone proximale de développement", cette frontière entre ce qu’on sait déjà et ce qu’on peut apprendre. De son côté, Bandura a proposé la théorie de l’apprentissage social, qui souligne la puissance du modèle et de l’imitation dans l’acquisition de nouvelles compétences adaptatives.

Ces théories trouvent aujourd’hui un écho dans les pédagogies modernes, où l’individu n’est plus seulement un "récepteur passif" mais un acteur dynamique de son apprentissage, évoluant dans un écosystème enrichi par les échanges.

Vers une compréhension toujours plus intégrative

En rassemblant des perspectives aussi variées que celles de Sternberg, des neurosciences, ou encore des sciences systémiques, on réalise que l’intelligence adaptative ne peut être réduite à un seul facteur ou à un modèle unique. C’est un concept multidimensionnel, ancré dans les interactions entre individus, environnements et systèmes. Un champ aussi vaste qu’excitant, qui continuera sans doute de se nourrir des avancées futures en psychologie, biologie ou technologies éducatives.

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